Une artiste exceptionnelle s'est prêtée au jeu de l'interview Bien Être au Féminin : Rencontre avec
Marie Kalinine, mezzo-soprano, une femme à la voix et au coeur grands "comme ça" !
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Marie Kalinine Carmen - Opéra Royal de Wallonie |
En 1995, Marie intègre la Maîtrise de Radio France, en 2001, elle entre au Conservatoire Supérieur de Paris, dont elle sort lauréate en 2004. Marie a également été l'invitée de l'émission d'Eve Ruggieri "Musiques au Coeur".
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Belle-Hélène photo : Jean Pouget |
Dotée d'un incroyable charisme, sa présence et sa voix conviennent parfaitement aux grands rôles tragiques du répertoire.
Allant au delà de l'Opéra elle a aussi eu une belle rencontre scénique avec Roberto Alagna sur la tournée de "C'est Magnifique", où elle a repris les chansons de Luis Mariano.
Tragédienne flamboyante, abonnée aux rôles de "méchantes" elle a gentiment accepté notre interview
- Marie, votre vocation est apparue à dix ans, était ce le fruit du hasard, d'une rencontre ?Je viens d’une famille d’amoureux des belles choses, où mes frères et moi avons été élevés sans télé, mais avec beaucoup d’amour, de fantaisie… et d’art ! Mon goût pour la musique, a donc été modelé par mon éducation, entre mon père mélomane passionné, ma mère dessinatrice (et qui avait fait des études supérieures de chant, pour développer sa belle voix de soprano dramatique, mais qui a décidé de ne pas en faire son métier), et ma grand-mère chérie, qui m’a donné mes premiers cours de piano pendant mes années d’école primaire. Je n’y voyais à ce moment-là qu’un loisir agréable. Mais quand, à 10 ans, j’ai intégré une classe de musiciens, avec cours de chant, de solfège, de chœur et de piano, j’ai vite compris que rien ne m’épanouissait autant que la pratique de la musique, et j’ai décidé que j’en ferais mon métier. Evidemment, la quasi-totalité des gens à qui je disais « Plus tard, je serai chanteuse d’opéra » , n’y voyaient qu’un rêve d’enfant semblable à « Plus tard je serai princesse », et tentaient de me décourager pour me mettre sur une voie plus réaliste… mais ils ont raté leur coup, pour mon plus grand bonheur !
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Crédit photo : Cyrille Cauvet |
- Votre parcours vous a amené à développer votre carrière vers le registre tragique, dramatique. Etait ce un souhait de votre part ? C’est vrai, je suis plutôt abonnée à des rôles intenses, mais, même si j’ai un penchant naturel pour le drame, cela n’est pas particulièrement un choix personnel. Je m’explique : Quand on tente de débuter une carrière de chanteur lyrique, on passe des auditions pour obtenir ses premiers engagements sur les scènes lyriques, et bien souvent… on prend les rôles qu’on nous offre, sans trop faire les difficiles ! (Il faut bien gagner sa vie…) J’ai eu la grande chance de tomber très vite sur des personnes qui ont eu le courage de confier à une chanteuse aussi jeune et inexpérimentée que je l’étais des rôles importants, qui ont permis de révéler au public mes qualités théâtrales dans des rôles de folles à lier, de bombes sexuelles, de femmes désespérées, de sorcières… c’est passionnant, et qu’est-ce que ça défoule ! Je peux dire que je suis une sacrée chanceuse, et j’espère que ça va durer encore longtemps.
- L'Opéra, malgré de nombreux efforts faits pour le rendre plus "accessible" semble demeurer un lieu réservé à des initiés. Pour des néophytes qui seraient tentés de franchir le cap, quel est l'opéra qui vous parait le plus adapté ? Oui, je suis toujours étonnée que l’opéra soit si souvent vu comme un art réservé aux élites, ce qui est faux pour plusieurs raisons : Malgré tout ce qu’on peut penser, le grand public adore l’opéra, mais peut-être sans le savoir ! Il suffit de regarder n’importe quelle émission de télé-crochet : dès qu’un candidat chante avec un début de brin de voix lyrique, même maladroite, tout le public est en délire et lui offre une standing-ovation ! La voix lyrique a un impact émotionnel immédiat, et ça, ça touche les oreilles de tout le monde. Pas besoin d’être spécialiste ! (Je demande souvent à ceux qui n’osent pas aller à l’opéra « parce-qu’ils-n’y-connaissent-rien » s’ils s’interdisent de boire du bon vin pour la simple raison qu’ils ne sont pas œnologues… Pas besoin de connaître un jargon de spécialiste pour apprécier les bonnes choses ! Laissez tomber les complexes !).
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La Belle Hélène crédit photo : Laura Dyens |
En ce qui concerne le prétendu « prix exorbitant » des places pour assister à une représentation d’opéra, c’est absolument faux ! Bien souvent, il y a des places très abordables… voire même bien plus abordables que celles pour un concert de pop. Mais je crois que les dorures de l’opéra donnent l’illusion d’un lieu « de luxe »… et justement, ça me mène au 3ème point : Je pense que l’opéra souffre des lieux où il se produit : le grand public voit sans doute ces théâtres comme des lieux trop « chic », un peu intimidants et réservés à une société de gens riches et sûrs d’eux. (Un peu ce que je ressens quand je vois un casino : je n’ose pas y entrer car je me dis que je n’en connais pas les codes.) Mais au contraire !! Justement, c’est ça qui est génial : on peut, avec une place à 30 euros, s’offrir un siège de velours, entouré de dorures et de sculptures, (et même un plafond peint par Chagall si on va à l’opéra Garnier) pour une soirée, et tout ça avec un magnifique spectacle devant les yeux et dans les oreilles. C’est, en quelque sorte, le luxe à portée de tous. Alors pourquoi ne pas en profiter ? Pour ceux qui voudraient commencer en douceur leur initiation à l’opéra, un grand classique s’impose. Je suggère Carmen, dont tous les thèmes musicaux sont des « tubes », et dont l’histoire est assez rock n’roll : de la danse, des bohémiennes sexy et un peu sauvages, de la contrebande, un meurtre… pour se rendre compte que l’opéra est tout sauf « chiant », c’est pas mal, non ? Sinon, il faut vraiment oser aller voir des œuvres en langues autres que le français ! Tous les opéras de Puccini sont des merveilles… La Bohème ou Madame Butterfly, il n’y a pas mieux pour tomber amoureux fou de l’art lyrique. Et surtout, ne pas oublier que, même si « opéra = culture », et que ce satané mot est bien souvent synonyme de « bon pour mon cerveau, mais quand même vachement ennuyeux », l’opéra, c’est le blockbuster de nos ancêtres !! C’est du divertissement au même titre qu’un film ou une comédie musicale de notre époque, mais en version « vintage », et avec plein de superbe musique. Alors osez !
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Marie Kalinine |
- Vous portez souvent des costumes incroyables, quel est le rôle costumé qui vous a le plus marquée ? Je commence à avoir pas mal de rôles au compteur… mais c’est mon tout premier rôle sur scène qui m’a offert le costume le plus marquant. On peut dire que le destin m’a prévenue dès le début que ce métier m’apporterait quelques surprises ! Je chantais le rôle de Vénus (dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi), je pensais donc porter un costume drapé de belle déesse à longue chevelure… mais le costumier en avait décidé autrement ! Je me suis retrouvée affublée d’une perruque « à demi crâne chauve - à demi touffe rousse dressée sur la tête », d’une robe à paniers démesurée, et dont le corsage s’arrêtait sous les seins… nus (mais pour de faux, je vous rassure. On m’avait, pour l’occasion, fabriqué une gigantesque paire de seins en caoutchouc, qui avait été fixée à la robe. Ce qui donnait l’illusion de la nudité pour le public, mais qui, pour moi, donnait l’impression de chanter enfermée dans une combinaison de sudation), et pour couronner le tout, une immense fraise autour du cou, un bandeau sur l’œil, une bande de faux-cils de 3km de long sur l’autre, des platform-shoes aux pieds, et… une cravache à la main. Avez-vous déjà essayé de marcher avec des platform-shoes ? C’est difficile. Très casse-gueule, si vous me passez l’expression. Eh bien essayez avec une robe à paniers au dessus, une fraise qui, du coup, limite votre champ de vision à ce qui se trouve au dessus de votre tête (donc impossible de voir où on pose ses pieds déjà très très handicapés par ces satanées chaussures), et, cherry-on-the-cake, ajoutez un bandeau sur un œil histoire de limiter un champ de vision déjà quasi-inexistant… et hop, lancez-vous sur scène pour chanter votre tout premier rôle d’opéra (sans vous casser la figure, ce qui est un exploit). Oui, ce fut une sacrée expérience.
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Crédit photo : Marc Larcher |
- Pourriez vous nous citer un rôle d' opéra dont vous rêvez mais pour lequel vous sentez que vous devez encore acquérir de l'expérience ? Parmi les rôles les plus difficiles pour une mezzo-soprano de mon type (voix sombre, mais assez étendue vers l’aigu), il y a ceux qu’on trouve dans les grands opéras de Verdi et Wagner. Mais ils cumulent tout ce qui est le plus difficile techniquement : il faut une voix à la fois large et à l’aigu facile, l’orchestre est très dense et sonore, et ce sont des œuvres qui sont souvent assez longues, donc pour en venir à bout, il faut avoir une technique parfaite pour ne pas causer des dommages à sa voix, d’autant que la situation théâtrale peut facilement faire oublier la maîtrise technique : on se laisse aller à jouer avec trop de conviction, en oubliant le « beau chant », et la santé vocale s’en ressent si on n’est pas en pleine maîtrise de son instrument. C’est là que la sagesse et l’expérience sont indispensables pour sauvegarder sa voix. Je ne sais pas encore si j’en serai un jour capable… mais un rôle comme celui de la princesse Eboli dans Don Carlo de Verdi sera peut-être un jour un beau défi pour moi. L’avenir nous le dira.
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Crédit photo : Sylvain Geerts |
- Que pensez vous de cette citation de Henri Louis Mencken " L'opéra en anglais, c'est juste aussi émouvant que le base-ball en italien” ? Cette citation est très drôle ! Mais je ne serais pas aussi extrême… L’opéra est certes né en Italie, mais l’art d’accorder théâtre et musique ne devrait pas pour autant être réservé à cette langue, même si elle est particulièrement agréable à chanter. Bien d’autres pays ont vu naître de merveilleux compositeurs d’opéra : Russie, Allemagne, France, Angleterre, pour ne citer qu’eux. Ces langues diverses ne font qu’apporter des saveurs nouvelles à la « recette originale » italienne ! Et pour reprendre une formule célèbre : l’italien n’a pas le monopole de l’émotion ;-)
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Madame Butterfly |
- Quels sont vos pages, sites web fétiches ? pour quelles raisons ? En bonne chanteuse lyrique, je visite régulièrement le site forumopera.com, qui est le plus grand web-magazine français consacré à l’opéra : critiques de spectacles, d’enregistrements et de livres, dernières nouvelles, débats… Evidemment, j’ai du plaisir à lire les articles de ce site surtout s’ils disent du bien de mes prestations et de celles de mes amis et collègues ! Sinon c’est la déprime assurée pour la journée… Etant aussi férue de dessin, notamment humoristique, je me promène souvent parmi les nombreux blogs de dessinateurs. J’admire le « beau dessin », mais j’ai un petit faible pour le coup de crayon spontané et archi-désopilant de Marion Montaigne, allez visiter son blog « Tu mourras moins bête », c’est à mourir de rire. Je suis aussi très engagée pour la préservation de l’environnement, la permaculture, le retour à un mode de vie raisonnable, loin de la surconsommation et des montagnes de déchets qu’elle induit. Le chef de file de ce changement positif est la merveilleuse Béa Johnson, qui a écrit le livre « Zéro Déchet », et qui tient un blog plein de belles idées, toujours très esthétiques, pour en finir avec ce monde-poubelle : zerowastehome.com (maintenant aussi en version française, chouette !)
- Avant une représentation avez vous une astuce pour diminuer le trac ? Le meilleur moyen pour diminuer le trac est de connaître son rôle sur le bout des doigts, et d’avoir utilisé la période de répétition pour ôter le moindre doute quant au texte, aux mouvements de mise-en-scène, pour se familiariser avec son costume et les accessoires, pour bien repérer les moments « dangereux » musicalement, ceux où un regard au chef est indispensable, ceux où il est bon de ne pas tout donner vocalement pour « en garder sous le pied ». Si ce travail en amont est bien fait, le trac est vraiment très amoindri...et une fois passées les 3 secondes fatidiques avant de poser le pied sur scène, pendant lesquelles on a juste envie de changer de métier, tout devrait bien se passer !
- A titre personnel quelle est votre routine beauté ? Ma routine beauté n°1 est mon alimentation, quasi-végétarienne, bio, fraîche, souvent crue et de saison. C’est bon, c’est beau, et c’est le meilleur moyen de profiter des vitamines et minéraux des fruits et légumes, en ayant le plaisir de voir défiler les saisons dans son assiette. Ensuite, au niveau purement cosmétique, j’utilise un maximum de produits naturels, souvent faits maison avec des ingrédients simples : huiles végétales, hydrolats de fleurs, beurre de karité et de mangue. Mes cheveux souffrent souvent d’être attachés, enfermés sous des perruques, alors je leur offre des masques d’huile de nigelle mélangée avec des huiles essentielles d’ylang-ylang (et en plus ça sent très bon !).
- Avez vous un régime spécifique permettant de préserver votre voix des petites affections courantes ? Oui, il faut évidemment obéir aux lois de la santé-du-chanteur-lyrique pour mettre toutes les chances de son côté : éviter tabac et alcool (au moins quelques jours avant de chanter), un bon sommeil, une hydratation et une alimentation de qualité. Et en cas de maladie : alimentation réduite au strict-minimum (juste quelques jus frais de fruits et légumes), repos et infusions de thym-citron-miel.
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Marie Kalinine & Yuri Kissin |
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Crédit photo : Sylvain Geerts |
- Le monde de l'Opéra vous parait il aussi superstitieux que celui du Théâtre ? Avez vous un petit "rituel" avant de monter sur scène ? Le monde de l’opéra fait semblant d’être superstitieux, mais c’est surtout une sorte de jeu auquel on se prête plus ou moins… On ne devrait pas prononcer le mot « corde » , ni porter de vert sur scène, ni jamais jamaiiiiis répondre « merci » quand quelqu’un nous dit le fameux « merde » sensé porter chance avant un spectacle. Mais c’est plus des traditions qu’une véritable superstition, et pour avoir récemment porté un costume vert en scène, je suis un témoignage vivant que ce n’est pas si dangereux que ça ! Le seul petit rituel que je respecte est celui des petits cadeaux qu’on offre à ses partenaires de scène avant la première d’une série de spectacles. Ca peut être un bonbon, une petite babiole, une fleur. Pour ma part, je mets à contribution mes petits talents de dessinatrice, et distribue à mes collègues des cartes, où je me caricature dans mon costume, en essayant de trouver à chaque fois une idée pour les faire rire (pas toujours facile de trouver l’inspiration !).
- Vous êtes également dessinatrice de BD via votre site personnel « Chanteuse d’Opéra ? C’est un métier, ça ? » Pourriez vous nous dire un mot sur cette seconde passion ? J’ai toujours dessiné, depuis mon plus jeune âge. Sans doute un moyen de m’évader, pendant mon enfance sans télé… (Au passage, merci à mes parents, qui, en me privant de ce média qui passionnait mes copains de classe, ont développé ma créativité ! A l’époque, je n’en étais pas consciente, et je leur en voulais de ne pas pouvoir regarder les programmes dont ils parlaient pendant les récréations, mais avec le recul, quel bon choix ils ont fait !) A l’adolescence, j’ai choisi de poursuivre mon rêve de devenir chanteuse, tout en me disant que l’autre choix professionnel possible serait le dessin… puis l’opéra a gagné, et le dessin est resté quelque part dans ma tête, et parfois dans mes loisirs. Puis il y a quelques années, je me suis rendu compte que le grand public n’avait qu’une idée très caricaturale de ce qu’était une vie de chanteur d’opéra. Non, une chanteuse lyrique n’est pas une grosse Castafiore sur-bijoutée, courant de concerts huppés en cocktails de luxe… et j’ai eu envie de raconter, en petits dessins, la vérité sur ce métier si mal connu, y compris les moments que personne ne raconte (répétitions où on est trèèèèès loin de l’image glamour de la diva, costumes ridicules, moments de solitude, espoirs déçus, grosses flemmes…. Bref, tout ce que personne n’ose dire en interview !) Personnellement, je m’amuse beaucoup à faire mes petits dessins, et j’espère que mes lecteurs le ressentent !
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illustration Roi d'Ys - Marie Kalinine |
Nous avons eu la chance que Marie accepte notre interview avec autant d'entousiasme et de vérité. Artiste, tragédienne, dessinatrice : Marie est une femme 100% Bien Être au Féminin
Merci !
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Crédit Photo : L'Oiseleur
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